REDÉCOUVERTE ET RÉATTRIBUTION DE LA MADONE DE BRANDO



De Baecque et Associés présentera aux enchères vendredi 31 mars 2023, un important retable réalisé en 1500 pour un couvent du nord de la Corse. 

Inédit sur le marché de l'art, le retable possède une provenance parfaitement documentée : il est resté dans la même famille depuis sa découverte et son acquisition en 1839 par Albin Chalandon (1809-1885) dont la collection de Primitifs Italiens, constituée au XIXe siècle, a fourni des chefs d'œuvres aux plus grands musées (Louvre, National Gallery...).  De plus, l'oeuvre a bénéficié de recherches récentes qui ont abouties à sa réattribution aux artistes italiens Simone da Firenze et Rocco di Bartolommeo, apportant ainsi un témoignage nouveau sur les échanges artistiques entre la Corse et Gènes à cette époque. 

 
LA VIERGE EN TRÔNE TENANT L'ENFANT, ENTOURÉE DE QUATRE ANGES MUSICIENS
dite MADONE DE BRANDO

 


Panneau de retable, rectangulaire.
Peinture mixte sur fond d’or guilloché, sur panneaux de bois, cadre en bois sculpté et doré gothique avec arcades polylobées retombant sur des colonnettes torses et surmontées de gâbles. Inscriptions dans le coin inférieur gauche du panneau, en lettres classiques tracées à la peinture noire sur parchemin ou papier déchiré en trompe-l’œil : OPUS SIMONE PIT[…] /ET ROCHO FI[…]/ADI XI DAPRI[lis]/A[nno]D[omini] M.CCCC[c].
H. 198 cm ; L. 94,8 cm avec cadre.

Estimation : 200 000 / 300 000 € 




Provenance : Couvent San Francescu de Castello, Brando, Corse (construit en 1474, abandonné et ruiné après la Révolution) ; Fabrique paroissiale de Brando, par suite de l’affectation des biens des églises supprimées par le décret du 30 mai 1806 ; Collection Albin Chalandon (1809-1885) acquis auprès de la précédente en 1839 ; Par descendance collection privée, Paris.

Exposititons : J. B. Giraud, Recueil descriptif et raisonné des principaux objets d’art ayant figuré à l’exposition rétrospective de Lyon 1877, 1878, p. 5, le panneau y est décrit sous le numéro 152.


 
Placé sur un carrelage à dessins géométriques peints en perspective, le trône accueillant la Vierge et l’Enfant détache sa haute structure architecturée sur le fond d’or estampé. Devant les niches ménagées sur les bras de ce trône, l’artiste a installé, de chaque côté, un petit ange musicien assis, celui de gauche jouant de la harpe, celui de droite frappant un tambourin. Au pied du trône, de part et d’autre du manteau de la vierge, placés sur le proéminent piédestal orné de grotesques, deux autres anges jouent du luth et du rebec.
La Vierge, assise au centre de la composition, dirige son regard vers le spectateur. Un ample manteau bleu bordé d’un galon ornementé la recouvre presque totalement, s’ouvrant à peine pour dévoiler une somptueuse robe rouge et or, aux larges motifs de velours frappé. Sur son genou gauche, Elle tient l’Enfant totalement dénudé, qui enferme dans ses mains un chardonneret, symbole de la Passion, auquel il ne semble pas prêter attention, préférant dialoguer avec l’Ange placé à ses côtés.
 





UNE ATTRIBUTION RÉCENTE

Rarement montré, ce panneau n’avait jusqu'alors pas retenu l’attention des critiques sauf celle de Louis Demonts qui, en 1936, le jugeait de "l’Ecole vénitienne vers 1500, intermédiaire entre Schiavone et Alvise Vivarini". Cette attribution n’a pas été retenue par Giuliana Algeri et Anna De Floriani qui évoquent à nouveau cette œuvre (1992) ignorant qu’elle se trouvait encore chez les descendants d’Albin Chalandon. Elles considèrent ses auteurs Simone da Firenze et Rocco di Bartolomeo, dont on ne savait rien alors, comme suiveurs de Giovanni Mazone (1453-1510) peintre originaire d’Alessandria en Piémont, actif à Savone et à Gênes où sa famille était installée depuis longtemps.

Gian Luca Zanelli (La pittura in Liguria, Il Cinquecento, dir. E.Parma, Gênes 1999, p.407,412) a retrouvé depuis la mention des signataires de l’œuvre dans un ouvrage de Fedrigo Alizeri qui fait état d’un « Simone di Petriano » et d’un «Rocco di Bartolommeo, fiorentini » auxquels le gouverneur et le conseil des anciens de Gênes ont octroyé, entre 1504 et 1506, un sauf-conduit d’un an. Zanelli précise que ces deux peintres sont effectivement les auteurs qui signent conjointement vers 1500 la Madone et l’Enfant en trône, dite ici « Madone de Brando » de la collection Chalandon.

On doit récemment à Orazio Lovino une étude approfondie de l’activité de Simone da Firenze qui, originaire de Toscane, serait venu travailler d’abord en Ligurie où il réalisa au début du XVIe siècle, en compagnie de Rocco di Bartolomeo, également florentin, la Madone de Brando, avant de se rendre dans le sud de l’Italie, en Basilicate, où maître d’un atelier, il signe en 1523 M(agiste)R SIMO(n) D(e) FLORE(n)TIA sur le grand retable de Santa Maria degli Angeli à Senise, ville proche de Potenza.

 


L'ÉCLÉCTISME GÊNOIS


Les auteurs de la Madone de Brando, bien que florentins d’origine, ont sans doute été sensibles aux influences de la peinture vénitienne contemporaine notées supra, mais leur culture est beaucoup plus proche des pratiques des ateliers génois de la fin du XVe siècle, trahissant plutôt leur venue précoce en Ligurie. Ils appartenaient vraisemblablement à l’une de ces nombreuses « botteghe » génoises (ateliers) souvent dirigées par des étrangers, principalement des lombards ou des niçois. 

 

La présentation de la Vierge assise sur un trône architectural monumental, peint sur un panneau cerné d’un cadre somptueux en bois sculpté et doré reprenant la forme d’un triptyque, rappelle les pratiques des ateliers génois de la fin du XVe siècle dont le style oscille entre le gothique finissant et la Renaissance. Ces grandes compositions montrant la Madone et l’Enfant assis sur d’imposants trônes architecturés où prennent place des anges musiciens ou des "putti" semblent provenir des modèles lombards et seront diffusés au XVIe siècle à Naples et dans tout le sud de l’Italie, jusqu’en Espagne.

Citons l'exemple du lombard Vincenzo Foppa, dont le plus prestigieux est celui qu’il réalisa en 1490 et que termina Ludovico Brea, destiné à l’ancien Dôme de Savone (Savone, Oratoire de Santa Maria di Castello )

L’imposante stature de la Vierge, la rondeur des formes, la placidité des attitudes des anges, les motifs ornementaux créent la même ambiance de calme et d’apaisement que celle des œuvres de Mazone. Il demeure vraisemblable que "Simone et Rocho" subirent cette influence lors de la réalisation du tableau. 

Vincezo Foppa et Ludovico Brea, Vierge à l'enfant, Oratoir de Santa Maria
di Castello, Savone, 1490.



 


UNE PROVENANCE PRESTIGIEUSE



 

Ruines du couvent Saint-François de Brando
 

Albin Chalandon (1809-1885), polytechnicien de formation, eut une carrière militaire en tant que capitaine dans l’armée du Génie. Fils d’Antoine Chalandon (1768-1832) adjoint au maire de Lyon et administrateur des hospices civils de Lyon, il était l’héritier d’une importante famille lyonnaise. Il collectionna notamment les primitifs italiens, se constituant une importante collection à Parcieux dans l’Ain où il décéda.
Formée essentiellement de peintures et d’objets d’art de l’époque médiévale, la collection Chalandon a compté depuis la fin du XIXe siècle de nombreux chefs-d’œuvre, pour certains distillés petit à petit, avec parcimonie, sur le discret marché de l’art pour aboutir in fine aux cimaises des grands musées. On citera notamment parmi les œuvres les plus prestigieuses de la collection, "le Calvaire" de Jean de Beaumetz, Louvre, "les scènes de la vie de saint François de Sasseta", Londres National Gallery et "la Rencontre de saint François et saint Dominique", de Fra Angelico au musée de San Francisco.

L’un des aspects fascinants de la Madone de Brando est la richesse de sa provenance. Les notes rédigées par Albin Chalandon nous informent, outre de ses recherches en Histoire de l'Art, des conditions dans laquelle il a acquis l'oeuvre en 1839. 


 

Il découvre ce tableau en 1837 dans le village de Brando, situé à cinq ou six kilomètres au nord de Bastia et note : "il appartenait jadis à la chapelle d’un couvent franciscain[6] situé dans le voisinage. Il est probable qu’il avait été offert comme ex-voto par quelque négociant génois. J’en ai fait l’acquisition en 1839 avec l’autorisation de l’évêque d’Ajaccio. Une importante opération de consolidation a été exécutée pour ce tableau avec beaucoup de connaissance et de talent par M. E. C. Daussigny".
Ces quelques lignes sont d’une richesse extraordinaire, elles permettent au lecteur d’imaginer le collectionneur lyonnais en ce début du XIXe siècle parcourant la Corse, mais surtout d’intégrer l’œuvre dans son contexte.

Restée depuis 1839 dans la descendance du collectionneur lyonnais, cette œuvre des premières années du XVIe siècle, est un incroyable témoignage : celui de la vivacité des échanges entre les centres de production vénitiens, lombards et ligures et les régions comme l’actuelle Corse, alors génoise, mais gérée par la puissante banque de l’Office de Saint Georges, mais aussi un témoignage de l’innovation entre tradition et modernité dont faisaient preuve les ateliers de l’école ligure en matière de production picturale.


 

INFORMATION DE VENTE
 

MOBILIER ET OBJETS D'ART 
Vendredi 31 mars 2023 14:00
Salle 5 - 9 rue Drouot 75009, Paris

Exposition publique :
Mercredi 29 mars de 11h à 18h
Jeudi 30 mars de 11h à 20h

Renseignements : 
paris@debaecque.fr

Expert :
Cabinet Turquin