Les Gourmandises de Jean-Yves Roux

École naïve de la première moitié du XIXe
Le Beau Château
Huile sur toile
H. 64 cm - L. 97 cm
Provenance : Ancienne Collection Aubry
Bibliographie : Anatole Jakovsky, La peinture naïve, Paris, Jacques Damase, 1949, reproduit p. 23
Rentoilage
Estimation : 2 000 - 3 000 €

Ce tableau sera présenté lors de notre prochaine vente Art(s) du XXe siècle à Marseille. Nous vous préviendrons de la date de vente dès que possible.


Les Gourmandises de Jean-Yves Roux.
 
Ça m'est égal, de manquer ma vie. Je ne vise pas. Je tire en l'air, du côté des nuages. Cette citation tirée du Journal de Jules Renard (année 1925), Jean-Yves Roux en avait fait sa devise. 

Libre, rêveur, fasciné par l’étrange, le bizarre, le hors-les-normes, il collectionne les objets de curiosités dès l’âge de 20 ans (on se souvient de cette invraisemblable taxidermie d’un singe exalté et coiffé d’un bonnet, chevauchant une chèvre plus étonnée que consentante…).
La rencontre avec l’art ne tarda pas à suivre, mais pas n’importe lequel, celui des Singuliers

Ces Singuliers de l’art que l’ARC exposait au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1978 et que Suzanne Pagé décrivait dans la préface du catalogue comme un « échantillonnage d’une production multiple [voulant] témoigner pour le trop, l’excès, la barbarie, la vie enfin, c’est-à-dire son excédent même, son essentielle sauvagerie ».

Jean-Yves Roux appartient à la génération qui suivit de près les grands découvreurs que furent Anatole Jakovsky pour l’Art naïf et Jean Dubuffet pour l’Art brut. Moins dogmatique et doctrinaire que ces tumultueux aînés, J.Y. Roux à l’instar d’Alain Bourbonnais et de sa Fabuloserie ou de Gérard Sandrey et son site de création Franche, milita pour la reconnaissance et la valorisation d’un art non culturel, créations d’autodidactes ou d’anonymes, mues par la liberté, la créativité, voire la folie.

Son aventure d’une extraordinaire richesse se concrétisa d’abord au sein de sa galerie, initialement nommée, Nasara puis Matara, phare de la contreculture marseillaise pendant plus de 40 ans, sis 24 rue Saint-Jacques. Fier de partager ses découvertes, il était un passeur érudit à l’élégance dilettante. Il initia aussi la bien nommée Fondation de la Curiosité, celle qui organisa, entre autres, les « Rencontres avec d’autres mondes », au Castellet dans l’enceinte du Circuit Paul Ricard, les collaborations avec la revue L'œuf sauvage et les liens avec Michel Thévoz, conservateur de la Collection de l’Art brut à Lausanne…

On ne congratulera jamais assez Jean-Yves Roux pour ses trouvailles qui dans bien des cas s’apparentent à des sauvetages, tant la fragilité de certaines créations, les offraient, au mieux au mépris, au pire au vandalisme. Le cas de Mathilde Poulvelarie (1876-1956) est à cet égard éloquent. Le fonds d’atelier de cette Bordelaise, un tantinet médiumnique (les esprits des grands peintres guidaient sa création) et farouchement inspirée fut dispersé après son décès, devant sa porte, les toiles vendues pour les châssis, comme le rappelle tragiquement Anatole Jakovsky dans son Dictionnaire des peintres naïfs. C’est dire si cela relève du miracle d’en compter trois dans la même vacation !

Ce profond attachement à ses peintures dites naïves, alors et toujours un peu considérées comme suspectes par les thuriféraires de l’Art brut, illustre deux autres qualités de cet homme qui exécrait tant le faux semblant, son indépendance d’esprit et son sens du dialogue.

Que la cinquantaine de gourmandises, toutes plus savoureuses les unes que les autres qui nous sont offertes lors de cette vente aux enchères, perpétuent la mémoire et l’exemple de ce passionné, dont son ami Bernard Plasse rappelle que « le partage était dans sa nature, il aimait partager et savait très bien le faire. »

Merci, Jean-Yves Roux, à jamais du côté des nuages.


Texte rédigé par notre expert Damien Voutay