UN EXCEPTIONNEL ÉLÉMENT DE RETABLE GERMANIQUE DU DÉBUT DU XVIE SIÈCLE

Vente à l'Hôtel Drouot, le 19 mars 2021 Sculptures, Dessins, Tableaux anciens, Mobilier – Objets d’Art

«La découverte de cette sculpture lors d’un inventaire dans un appartement parisien fut enthousiasmante. D’une part, la rareté et la qualité de l’œuvre m’ont sauté aux yeux, de plus, le retable faisait partie d’un ensemble typique du goût d’une famille de collectionneurs de la première moitié du XXe siècle. Cette sculpture médiévale voisinait des tableaux de Vuillard, des masques africains, de l’art asiatique ou encore une sculpture en bois de Knoll. »
Géraldine d’Ouince, commissaire-priseur associée.

Sera présentée le 19 mars 2021 à Drouot, une sculpture inédite en salles des ventes, sans équivalent dans le marché de l’art ces vingt dernières années. Cette sculpture représentant la Dormition de la Vierge provient de la collection du ministre Louis Loucheur (1872-1931) et nous est parvenue par descendance. Cet élément de retable constitue une pièce rarissime par sa taille, son état de conservation et sa polychromie.


Lot 115
Souabe ou Rhin Supérieur, premier quart du XVIe siècle
La Dormition de la Vierge
Élément de retable figurant la Vierge et dix apôtres
Bois de tilleul polychromé
Accidents et restaurations
Dimensions : H. 70 cm ; L. 91 cm ; Pr. 32 cm.
Provenance : ancienne collection Louis Loucheur (1872-1931) ; par descendance.
Estimation : 50 000 / 80 000 €
Expertise : Cabinet Sculpture & collection

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- la fiche de l'oeuvre - cabinet Sculpture & Collection 
- le rapport d'étude préalable par Juliette Levy-Hinstin
 
 
 
CINQ POINTS À RETENIR 
 


LA DORMITION DE LA VIERGE PRÉSENTÉE EN IMAGES : 

 
 
 

 
Description de la scène représentée

 
Témoin de l’art des retables de la sphère germanique du Gothique tardif, ce rare groupe sculpté en bois de tilleul décrit littéralement la Dormition soit, dans le contexte de l’Occident chrétien de la fin du Moyen Age, la mort de Marie. La Légende dorée raconte qu’elle est alors entourée par les apôtres.
On peut compter dix apôtres autour de la figure de Marie, allongée sur un lit. Le côté senestre du groupe sculpté, peu travaillé laisse penser que les deux apôtres manquants devaient se tenir à cet endroit. Ils étaient sculptés séparément du groupe principal.
Les restaurations des mains de certains apôtres rendent leur identification difficile. On reconnaît cependant saint Jean aux traits juvénile et à la longue chevelure bouclée. Saint Pierre est lui aussi identifiable à sa barbe grise et à sa coiffure composée de trois
houppes. L’observation des autres apôtres à la recherche d’indices offre la possibilité d’admirer la variété d’expressions et l’humanité de chaque geste.
À la gauche de Pierre, un apôtre tient un livre, et il pourrait s’agir de saint Jacques, auteur d’un récit grec narrant l’événement. Par ailleurs, deux groupes de deux saints tenant des livres occupent le premier plan. Le sculpteur fait ainsi référence aux six ouvrages rédigés par les apôtres et mentionnés dans le pseudo récit de Jacques. Elodie Jeannest de Gyvès, expert, verrait Philippe dans le personnage se tenant à droite de Jean, les mains en prière. L’expert rapproche, en effet, ce visage émacié et barbu en partie caché par un capuchon d’ermite de la figure représentant saint Philippe, exécutée par Erasmus Grasser (Chorgesthul, Nordseite, München, Frauenkirche & Metropolitan – und Pfarrkirche Zu Unserer Lieben Frau).

 
Un sujet traité sur différents supports

 
Intégrée à un cycle narrant la vie de la Vierge, l’iconographie de la Dormition s’épanouit dans l’art du retable. Support privilégié des sculpteurs allemands de la fin de la période gothique, ce mobilier religieux comprend habituellement un autel ou une caisse dont la partie centrale est cachée par des portes. La caisse centrale peut accueillir des figures de saints ou une scène principale se poursuivant sur les volets ouverts à l’occasion de fêtes importantes.
Ce thème trouve son point d’orgue dans le magistral retable de la Vierge exécuté entre 1477 et 1489 par Veit Stoss (cathédrale de Cracovie).
La mort de la Vierge devient l’un des thèmes iconographiques les plus populaires du XVe siècle, en particulier dans la sphère germanique.

À la fin du XVe siècle, la Dormition de la Vierge s’assouplit et connaît un renouveau, grâce à la « dévotion moderne » – mouvement de réforme spirituelle. Cette spiritualité conduit à une vision plus affective et humanisée de la vie chrétienne, à l’instar de ce groupe sculpté. La scène se déroule dans un décor réaliste, une chambre à coucher, et les apôtres tiennent le rôle de pleurants.
Les dimensions importantes du groupe présenté par la maison de vente DE BAECQUE & Associés, sa taille en fort relief ainsi que la force narrative donnée par la richesse des attitudes des protagonistes – notamment le jeu des mains – plaident pour une place centrale dans un retable, certainement dédié, à l’origine, à la Vierge.
 
Le traitement réaliste des personnages et de la scène

 
Les sculpteurs ayant exécuté cette Dormition ont veillé à une réelle individualisation des protagonistes : chacun des apôtres présente une spécificité physionomique et une expression personnelle. Ils soignèrent tout particulièrement le traitement naturaliste et les expressions des visages.
Le désespoir des compagnons de la Vierge s’exprime par une dernière prière les mains jointes, par les pleurs étouffés dans le pan d’un manteau ou encore l’accolade du
groupe des deux apôtres lisant.
Malgré l’absence, ou grâce à elle, de deux apôtres et peut-être d’un groupe supérieur représentant l’arrivée du Christ, le spectateur se concentre sur l’animation de la scène générée par l’expression pudique d’émotions intenses diversement suggérées. De ce fait, l’attention se focalise sur l’opposition patente entre la détresse des apôtres et le calme souverain de la Vierge. La confiance lumineuse qui irradie du visage de Marie semble annoncer que la mort ne représente qu’un passage pour la Mère de Dieu : celui du temps à l'éternité. Cette manifestation divine place Marie au-delà de la résurrection de tous les humains, outrepassant le Jugement dernier.
 
La polychromie

 
Ce groupe en tilleul, malgré deux campagnes de restaurations et un certain nombre de repeints conserve de nombreux éléments de sa polychromie d’origines. Les feuilles d’or poli, les pigments bleu azurite ou les traces d’argentures sont autant de témoins du luxe de la polychromie qui donnait vie aux figures de bois sculpté. La subtilité des 5 carnations, assez fidèlement respectée par les restaurations, venait souligner le message iconographique. La richesse des brocards était rendue par non moins de trois techniques de dorure différentes et de jus colorés. Le cabinet Lacroix . Jeannest rapproche la couleur originale du costume de Marie, à peine devinable sous le repeint, de celle d’un bas-relief exécuté par l’atelier de Veit Stoss (église Saint Andreas, Kalchreut). Ce rapprochement colorimétrique vient ouvrir la question de l’identification de l’atelier producteur de ce magistral morceau de dévotion.
 
Etude du style

 
La facture indique qu’il s’agit indéniablement d’une œuvre réalisée par des « tailleurs d’images » souabes ou haut-rhénans, expérimentés dans l’exécution de grands retables d’autel ou d’œuvres plus modestes exportées dans une grande partie de l’Allemagne du Sud. Si La Dormition adopte des éléments iconographiques dérivant de modèles diffusés par la gravure (Martin Schongauer), mais aussi de la peinture (cf. Hans Multscher, La Dormition de la Vierge, volet du retable dit de Wurzach, 1437, Berlin Staatliche Museen, Gemäldegalerie), elle présente également des éléments stylistiques dérivant des ateliers les plus réputés de la ville d’Ulm. Le visage de la Vierge s’apparente directement au canon féminin si particulier de Niclaus Weckmann ou de Daniel Mauch (1477- 1540). Bien que moins minutieux, le rendu des mèches de cheveux de certains personnages se rapproche aussi du travail de l’atelier d’Erasmus Grasser (1450-1518), dont on connaît par ailleurs le goût pour ce type de scène pittoresque et narrative (cf. L’enterrement de la Vierge, fin du XVe siècle, bois polychromé et doré, Fine art museum of san Francisco, n°inv. 48.9).
Cependant, certains éléments semblent trouver leur inspiration dans d’autres lieux de productions. Il en est ainsi des drapés : leurs rabats aplatis et circulaires décrivent de grandes courbes et semblent exister indépendamment du vêtement, évoquant un modèle répandu dans la région du Rhin supérieur, influencé, semble-t-il, par celui de Martin Hoffman (Bâle entre 1507 et 1530/31). Le Christ de Douleur réalisé vers 1515 par ce sculpteur (Colmar, musée d’Unterlinden, inv.SB20) est représentatif de cette stylistique. Le traitement des plis scandés par de vastes zones lisses et les lignes sinueuses du bord des étoffes s’apparente, quant à lui, à la sculpture fribourgeoise du début du XVIe marquée elle aussi par l’influence haut-rhénane (cf. Hans Geiler et Hans Gieng). Ce type de drapé se diffuse ensuite dans les ateliers souabes.
La composition, le style, la vie émanant de ce groupe sculpté permettent de le dater du début du XVIe siècle et l’intègrent dans les productions des prolifiques et réputés ateliers souabes et du Rhin supérieur. Syncrétisme stylistique de ce qui plaisait le plus dans les arts souabe et haut rhénan tardo-gothiques, cette scène de trépas de la Vierge s’avère remarquable par ses dimensions, sa rareté et sa relative complétude.
 
Marché de l'art

 
Ce spectaculaire groupe sculpté attire l’attention du marché sur un des beaux-arts dont il est moins coutumier : la sculpture occidentale que défend la maison de ventes DE BAECQUE & Associés en collaboration avec le cabinet Lacroix. Jeannest.
La sculpture ancienne recouvre un champ chronologique très vaste qui s’étend du Moyen Age au règne de Louis XVI. Les œuvres importantes et bien identifiées sont rares. Elles suscitent donc, quand elles sont présentées sur le marché, des envolées d’enchères souvent spectaculaires. Un chef-d’œuvre inédit attribué à Francesco Bordoni (1574-1654), adjugé 3 048 000 € avec les frais) sous le marteau de Géraldine d’Ouince, le 20 novembre 2019 à Drouot, l’illustre parfaitement.

Elodie Jeannest de Gyvès constate :« Cette dernière décennie, la sculpture ancienne a connu un véritable engouement, notamment grâce au travail d'universitaires et d'expositions muséales qui renouvellent les connaissances tels Bronzes français - De la Renaissance au Siècle des Lumières (Musée du Louvre, 24 octobre 2008 - 19 janvier 2009) ou encore La Naissance de la sculpture gothique : Saint Denis, Paris, Chartres (Musée de Cluny le 10 octobre - 31 décembre 2018). »

Selon Géraldine d’Ouince, le groupe sculpté de la Dormition réunit toutes les qualités promettant un résultat dépassant largement son estimation : rareté, authenticité indubitable, qualité d’exécution et de conservation et provenance ancienne. Quant à Elodie Jeannest de Gyvès, elle rappelle que « La sculpture gothique fait partie de notre identité et de notre héritage patrimonial. L'incendie de Notre-Dame a frappé les esprits, et la crainte de perdre ce trésor artistique a suscité une vive émotion et par réaction un regain d'intérêt pour cette période de l’histoire de l’Art si riche et si importante.Le public redécouvre un type de sculpture spirituelle aux codes esthétiques qui peuvent faire écho à certaines œuvres contemporaines. »
 
II / Trois autres lots phares de cette vacation
Cette vente aux enchères publique « Sculptures, Dessins, Tableaux anciens, Mobilier – Objets d’Art » réserve, le 19 mars 2021 à Drouot, d’autres œuvres rares parmi lesquelles une peinture de Pietro degli Ingannati, une œuvre sur papier de François Boucher ou encore une pendule à l’éléphant.


Lot 179
Pietro DEGLI INGANNATI (documenté à Venise de 1529 à 1550 environ)
Sainte conversation, la Vierge à l'Enfant entre saint Jean-Baptiste et saint Joseph
Peinture à l'huile sur panneau de bois parqueté, inscrit sur le bord du parapet "Johannes BELLINUS" H. 127,5 cm - L. 97,5 cm avec cadre moderne
H. 110 cm - L. 78 cm panneau seul ET
Estimations : 40 000 / 60 000 €


Une Sainte conversation de Pietro degli Ingannati (1529 - 1550)
La Sainte conversation de Pietro degli Ingannati sera présentée aux enchères avec une estimation de 40 000 / 60 000 €. Artiste sans doute originaire de Vénétie, Pietro degli Ingannati est considéré comme l'un des proches suiveurs de Giovanni Bellini aux côtés de Francesco Bissolo dont il fut sans doute l'élève. La composition des personnages à mi-corps en triptyque sur fond de paysage dérive des modèles de Bellini créés aux alentours de 1490. Ingannati y associe ici une grande draperie tendue derrière la Vierge, disposition également reprise de Bellini (Madone Morelli, Bergame, Accademia Carrara n° 958). Si le groupe virginal - dont l'Enfant, qui tient en main un petit chardonneret symbole de la Passion - demeure encore ici très proche de Bellini, la figuredesaintJoseph,vieillardàlabarbeetlachevelurechenues drapéd'unvêtement à large encolure se retrouve dans l'une des dernières créations d'Ingannati : la Sainte Conversation de l'ancienne collection Sellar à Londres signée et datée 1548 (Caccialupi op. cit. p. 31, fig. 25). Cependant ici les accents belliniens prononcés, la qualité de l'exécution et le traitement raffiné du paysage et de son éclairage typique de cet artiste rappellent les œuvres de la maturité du peintre (cf. Madone de Saint Soupplets, op. cit. p.34, fig. 11) et militent pour une datation plus précoce de ce panneau, peut-être vers le début de la quatrième décennie du XVIe siècle.


Un lavis de François Boucher (1703-1770)

Lot 156
François BOUCHER (1703-1770)
Scène pastorale : une femme tenant un seau
Lavis brun sur traits de crayon noir
H. 25,4 cm L. 16,3 cm DB
Montage Glomy, son cachet en bas à droite sur le montage (L.1119)
Estimation : 2 000 / 3 000 €
Authenticité de ce dessin confirmée par monsieur Alastair Laing


Estimé 2 000 / 3 000 €, un lavis de François Boucher représente une scène pastorale : une femme tenant un seau.

Une spectaculaire pendule à l'éléphant du XVIIIe siècle
Une Pendule " à l'éléphant " en bronze doré et bronze relaqué noir se fera aussi remarquer des amateurs. Estimée 25 000 / 30 000 €, elle présente un mouvement surmonté d'un singe à l'ombrelle. Le cadran en émail et la platine sont signés J Baptiste Baillon. Elle est numérotée 1581.


Lot 254
Pendule " à l'éléphant " en bronze doré et bronze relaqué noir. Mouvement surmonté d'un singe à l'ombrelle. Base rocaille ornée de fleurs. Cadran émail signé J Baptiste Baillon. Platine signée J B Baillon à Paris et numérotée 1581. Suspension à fil.
Epoque Louis XV
H. 44 cm L. 34 cm JBHL
Estimation : 25 000 / 30 000 €


D'abord valet de chambre-horloger de la Reine en 1727, puis premier valet et enfin horloger ordinaire de la Dauphine, Jean Baptiste Baillon fut le fournisseur de la Couronne et de la Famille royale espagnole. Il possédait, fait unique, un important atelier à Saint Germain qui numérotait sa production afin de mieux la contrôler, ce qui assura la réputation de grande qualité de ses œuvres. En 1772, lors de l'estimation de son stock, le dernier n° de pendule était 3808, ce qui permet de situer cette pendule (n°1581) au milieu de sa période d'activité.
Les pendules à l'éléphant, inspirées des porcelaines chinoises, connurent une grande vogue dans le second tiers du XVIIIe siècle. Les meilleurs horlogers, sous l'impulsion des marchands merciers, utilisèrent des "boetes éléphantes" pour contenir leurs mouvements. On distingue deux principaux types de pendules à l'éléphant : celles, en général surmontée d'un putto, avec la tête de l'éléphant droite, trompe levée, dont la base est ornée de rinceaux, qui sont l'œuvre du bronzier Saint Germain et celles, surmontées d'un singe à l'ombrelle, avec la tête de l'éléphant se retournant vers le cadran dont la base naturaliste est décorée de fleurs, utilisées principalement par l'horloger Baillon.


SCULPTURES - DESSINS & TABLEAUX - MOBILIER & OBJETS D'ART
Vendredi 19 mars 2021 - 14h - Paris
Salle 1 - Drouot

Pré-exposition au 10 rue Rossini (Paris, 9e) :
Samedi 13 mars
Lundi 15 mars

Exposition à Drouot :
Mercredi 17 mars de 11h à 18 h
Jeudi 18 mars 2021 de 11 h à 18 h

Experts :
Sculpture : Lacroix - Jeannest
Dessin : Cabinet de Bayser
Peinture : Cabinet Turquin
Mobilier et Objets d’Art : Jacques Bacot et Hugues de Lencquesaing