Une maquette de bateau en ivoire à découvrir

Grande maquette en ivoire.
Frégate légère gréée et voilée.
La coque est percée pour 14 canons, à postes, sabords ouverts.
Le pont est animé de nombreux personnages en activité, le grand canot est à poste.
Gréement en ivoire filé, voiles en forme, chaque mat portant sa pavillonerie.
Une étiquette sur la terrasse indique : "Donné à Madame Eugénie Brunneau par l'amiral HUGON. Cherbourg 1838".
Terrasse en bois noirçi et globe de protection.
Maquette : 26 x 21,5 cm. Globe : 49 x 44 cm.
Dieppe, début XIX° siècle.
Estimation : 7 500 / 8 000 €


 
Expert : Bruno Petitcollot

Le Rapport sur l'estat de la ville de Dieppe, rédigé en 1731, indique la présence de 12 maîtres ivoiriers et 250 ouvriers tout en soulignant que la ville se vit très tôt importer "de telles quantités de morphi (ou ivoire), que cela donna aux Dieppois le cœur d'y travailler".
Depuis le XVIIe siècle, les navires de la Compagnie du Sénégal, dotée de privilèges par Richelieu, faisaient escale sur la côte de Guinée, d'où ils rapportaient l'or, la malaguette (le poivre) et l'ivoire d'éléphant dans la riche ville normande. Cette tradition du travail de l’ivoire perdura pendant tout l’Ancien Régime, périclita à la fin du XVIIIe siècle, et prit un nouvel essor au début du XIXe siècle. En effet, l’année 1822 vit le premier établissement de bains de mer français ouvrir à Dieppe et le chemin de fer arriva vingt ans plus tard. Les ateliers dieppois bénéficièrent de cet afflux de visiteurs et certains prirent même la décision d’ouvrir des succursales à Paris. De nouvelles familles vont alors dominer le marché : les Colette, Blard, Graillon ou encore les Souillard.

Notre frégate, toutes voiles gonflées, se rattache à ce regain d’activité de la part des ateliers dieppois au début du XIXe siècle : s’y retrouve toute la finesse et la dextérité des ivoiriers normands dans le travail de ce matériau précieux. Les gréments, minuscules cheveux d’ivoire, sont tous présents et le pont du navire s’anime de marins à la manœuvre, ceci à une échelle qui ne peut que forcer l’admiration : la maquette mesurant 26 cm de longueur.

Une étiquette ancienne sur la terrasse du globe qui protège l’œuvre mentionne que celle-ci aurait été offerte à Madame Eugénie Brunneau en 1838 par l’amiral Hugon. Personnage digne d’un roman d’aventure que Gaud-Amable Hugon (1783-1862) : simple mousse à l’âge de 12 ans, il gravit tous les échelons de la Marine pour terminer sa carrière comme vice-amiral, tout en se dédiant à la politique et obtenant un siège de sénateur. Une vie d’aventure où notamment il s’illustra en 1827 à la bataille de Navarin au cours de laquelle il coula une frégate ennemie, notre frégate d’ivoire en serait-elle une évocation ? Le Prince de Joinville laissa une description élogieuse de l’homme : « Je n’ai jamais connu plus marin que lui. Il devinait le temps, le prédisait avant le baromètre et prenait d’avance toutes les mesures en conséquence. C’était l’instinct des choses de la mer en personne ».

Emouvant témoignage d’un âge d’or des ivoires dieppois, notre navire, par sa provenance et la finesse de sa réalisation, incarne à lui seul l’extraordinaire Histoire de la cité de Dieppe au carrefour du commerce international pendant trois siècles.


Œuvre en rapport :
https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/07120000949
Attribué à Louis Raymond Henry Brunel (1818-1882)
Le Bon Henry, maquette de frégate en ivoire
Première moitié du XIXe siècle
Musée de Dieppe, N° inv. 905.13.1 ; 1703 (MD)

Bibliographie :
- R. GIRAUD, « L'ivoire et les ivoiriers dieppois », in Le magasin pittoresque, 15 août 1901.
- Cahiers de l'ivoire du musée de Dieppe, N° 2, « Les maquettes de navires en ivoire de Dieppe », décembre 2005.