ADJUGE 62 000€ mardi 17 novembre 2015 LYON-HÔTEL DES VENTES

Benjamin ROLLAND (1777-1855)
Portrait du baron Louis Bernard Francq en uniforme de chasseur à cheval de la Garde impériale
Huile sur toile, signée et datée 1808 en bas à gauche
H. 126 cm L. 88 cm
 
Provenance :
- Baronne Clotilde Montfort de Francq, épouse de Robert de Francq
- Collection privée par succession
 
30 000 / 40 000€
 
Le tableau que nous présentons met en scène Louis Bernard Francq en tenue d’officier de chasseur à cheval de la Garde impériale. Peint en 1808 par Benjamin Rolland, peu de temps après la bataille d’Eylau, il nous montre un homme de belle prestance au regard clair et franc. Il est revêtu du dolman sur lequel est jetée la somptueuse pelisse écarlate et or bordée de fourrure ; ses hanches sont ceintes du ceinturon en cuir rouge de Russie à double plateau décoré de l'aigle impérial. Il arbore fièrement  sa décoration d’officier de la Légion d’honneur sur son torse légèrement bombé, la main droite reposant sur son colback orné de l’aigrette blanche, la gauche sur la poignée de son sabre.
Ce portrait est à rapprocher de celui de Vivant-Jean Brunet-Denon (1778-1866), baron et général d’Empire réalisé par le même artiste en 1806 et vendu à Lyon, en notre Hôtel des Ventes, en mai 2014.
 
Benjamin Rolland (1777-1855) a été l’élève de Jacques Louis David. Professeur à Naples des enfants de Joachim Murat, il deviendra conservateur du musée de Grenoble en 1817 et directeur de l’école de peinture et de dessin. Peintre, il réalise quelques portraits de commande dont celui du baron Francq en 1808.

Louis Bernard Francq est né le 25 août 1766 à Auxonne, en Bourgogne, au sein d'un foyer modeste. A l'âge de 16 ans, Il s'enrôle comme cavalier au 5e régiment de chasseurs à cheval, qui deviendra deux ans plus tard le régiment de chasseurs du Gévaudan. L'année suivante, en 1785, il est promu brigadier. Il a alors 19 ans.
En 1788, son régiment devient le régiment de chasseurs de Normandie, puis en 1791, le 11e régiment de chasseurs à cheval, dans lequel il sert comme brigadier fourrier. En 1791, après la tentative de fuite du roi et son arrestation à Varennes, il est reversé dans la Garde constitutionnelle de Louis XVI.
Ses origines roturières le font échapper à la tourmente révolutionnaire et il retourne au 11e régiment de chasseurs.
Il participe aux campagnes militaires de la Révolution pendant lesquelles il sera blessé une première fois : campagnes de l'Armée du Nord, de l'armée des Ardennes, de l'armée Sambre-et-Meuse, puis des armées de Mayence, de Batavie et du Danube entre 1792 et 1800. Francq obtient les épaulettes de lieutenant de la 3e compagnie du 11e régiment de chasseurs en 1800. C'est probablement au cours de l'une de ces campagnes qu'il reçoit également un sabre d'honneur - distinction très recherchée obtenue pour une " action d'éclat d'une valeur extraordinaire ".

La Garde des consuls, future Garde impériale et troupe d'élite de l'empire, vient d'être créée par Bonaparte dès son accession au pouvoir. Commandée par Murat, elle est composée d'hommes s'étant illustrés sur les champs de bataille. Le lieutenant Francq est intégré dans ce corps le 26 octobre 1800. Cavalier émérite, il donne des cours de perfectionnement en équitation à Eugène de Beauharnais, qui commande le régiment de chasseurs, et se lie d'amitié avec lui. Le 13 octobre 1802, Francq est nommé capitaine du même régiment, puis il est fait chevalier de la légion d'honneur en 1804. En 1805, il est présent au " camp de Boulogne ", dans l'Armée des Côtes de l'Océan, mais l'invasion de la Bavière par l'Autriche oblige l'armée à partir pour une nouvelle campagne continentale. Francq combat à la bataille d'Austerlitz et participe à une charge de cavalerie restée célèbre, pour laquelle il est récompensé par sa promotion au rang de chef d'escadron. Il est fait officier de la Légion d'honneur par décret impériale du 14 mars 1806. Francq combat ensuite à Eylau en 1807, et s'élance une nouvelle fois dans la charge de cavalerie la plus importante de l'histoire de l'empire. Appelée " charge des 80 escadrons " elle stoppe net la colonne russe et renverse le cours de la bataille au prix de lourdes pertes. S'ensuivent, la campagne d'Espagne en 1808, qui oblige la Garde à traverser l'Europe en deux mois sans repos,  puis de nouveau la campagne d'Allemagne et d'Autriche et la bataille de Wagram en 1809, pendant laquelle Francq est une nouvelle fois blessé.
Après cette difficile victoire, c'est la signature du traité de Vienne et la paix enfin rétablie pour un temps.

Commence alors une nouvelle vie pour le Francq qui quitte le régiment de la Garde. Napoléon Ier le promeut colonel titulaire du 10e régiment de cuirassiers en 1809 à 43 ans, puis le fait baron d'Empire quelques jours plus tard. Il lui fait également contracter un brillant mariage avec Agathe Clémence Pipelet, fille de Constance de Théis, princesse de Salm et de M. Pipelet, membre de l'académie de chirurgie.
Constance de Théis, qui a divorcé de Pipelet en 1799, s'est remariée avec  le prince Joseph de Salm-Dyck, descendant d'une illustre famille allemande.  Femme de lettres, poétesse, elle tient un salon fréquenté assidûment par l'élite de la société parisienne  et mène une vie fastueuse et mondaine, partageant son temps entre Paris et la résidence princière de Dyck, près de Düsseldorf.

Francq, à 45 ans, est un homme rude, à la santé altérée par les 17 campagnes militaires auxquelles il a participé dans la cavalerie, sa jeune épouse de 22 ans, fraîchement sortie du pensionnat et fille adoptive d'un prince. Elle se retrouve mariée à un baron, à la valeur éprouvée et très apprécié de l'empereur, mais manquant de tact, car peu au fait des manières à adopter avec une jeune fille  de la haute société.  Elle supportera néanmoins le tempérament difficile et les humeurs grondeuses de son mari en lui opposant élégance et douceur. Le couple aura trois fils : Constant, Alexandre et Félix.
La santé du baron continue de se dégrader et le 19 avril 1812, le général Sébastiani, commandant de la 2e division de cuirassiers certifie son impossibilité de participer à la campagne de Russie et demande la mise à la retraite d'un " officier plein d'honneur et de mérite ". Celle-ci est effective le 21 mai 1812. Le baron et son épouse achètent alors  une propriété  à Sainte-Mesme en avril  1815 et quittent Paris, loin des bouleversements politiques qui s'opèrent alors.
Mais Francq tombe gravement malade. De retour à Paris, sa femme lui prodigue soins et attentions. Elle veille sur lui jour et nuit tout au long de sa lente et douloureuse maladie  avec le plus grand dévouement. Le baron rend son dernier soupir le 4 décembre 1818. La baronne à 29 ans, et retourne alors chez sa mère avec ses trois enfants, " se promettant de subir un veuvage éternel… "
Malheureusement sa vie se terminera dans des circonstances tragiques.
Le prince de Salm Dyck, très attaché à sa belle-fille fit partager son amour profond pour celle-ci à son jeune aide de camp, qu'il ramène avec lui à Paris après un voyage en Allemagne. Le jeune homme, qui avait grand-hâte de faire la connaissance de la baronne Francq, la rencontre à l'occasion d'un bal d'anniversaire de Constance de Théis. Il en tombe éperdument amoureux et n'eut de cesse de la revoir. A la mort de Francq, le jeune prince finit par lui déclarer sa flamme que la veuve cherche toutefois à éteindre avec beaucoup de gentillesse et d'indulgence. L'éconduit imagine un rival et, jaloux, se met alors à la surveiller. Il multiplie à son encontre des scènes qui deviennent de plus en plus virulentes et qui se terminent par le meurtre de la jeune veuve et le suicide du jeune homme.
Constance de Théis, très éprouvée par la tragédie, recueillit ses trois petits-fils présents au moment du drame et les éleva avec le plus grand dévouement.

Quel parcours étonnant que celui de ce fils d'ouvrier, devenu colonel, baron et époux de la fille adoptive d'un prince. Sa carrière militaire est caractéristique de celles qui débutèrent sous la révolution et se poursuivirent avec éclat sous l'empire. Son destin est intimement lié à celui de son époque : rempli de conflits incessants et du fracas assourdissant des chocs de cavalerie ; émaillé d'actes de bravoures et du faste impérial ; ponctué de grandes tragédies.

Muriel Le Payen

Bibliographie :
«Le baron L. B. Francq et les chasseurs à cheval de la Garde impériale », par Bruno Durand, in Bulletin de la Société Historique de Dourdan en Hurepoix, n°40, décembre 2000